COUVADE

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COUVADE

Rochefort, un observateur français des indigènes caraïbes des Antilles, baptisa «couvade», au XVIIe siècle, un ensemble de rites accomplis par le mari pendant la grossesse, l’accouchement de l’épouse et la période post-natale. «Au même temps que la femme est délivrée, note Rochefort, le mari se met au lit, pour s’y plaindre et faire l’accouchée [...]. On lui fait faire diète dix ou douze jours de suite [...]. Et même il s’abstient après cela, quelquefois dix mois, ou un an entier, de plusieurs viandes comme de lamantin, de tortue, de pourceau, de poule, de poisson et de choses délicates: craignant par une pitoyable folie que cela ne nuise à l’enfant.» Et l’observateur précise: «La coutume, [...] bien que sauvage et ridicule, se trouve néanmoins à ce que l’on dit parmi les paysans d’une certaine province de France. Et ils appellent cela faire la couvade

Dans «Temps de naître, temps d’être: la couvade», in M. Izard et P. Smith dir., La Fonction symbolique , Gallimard, Paris, 1979), Patrick Menget relève qu’il existe effectivement «des observations sporadiques d’une mise au lit du père dans l’aire du Sud-Ouest français, au pays basque et dans le nord de l’Espagne; observations généralement brèves, de seconde ou tierce main ». Mais peut-être a-t-on affaire ici au thème folklorique du monde à l’envers et à l’inversion des rôles sexuels tel que l’illustre, dans la littérature médiévale, Aucassin et Nicolette , où la femme conduit la guerre pendant que son amant accouche au lit. Selon l’analyse de Roberto Zapperi (L’Homme enceint , P.U.F., 1983): « Le recours à l’accouchement masculin n’était donc qu’un artifice de la représentation symbolique dans laquelle l’ordre naturel de la génération se renversait conformément aux rapports de domination qui réglait les relations entre les deux sexes.»

En 1865, Edward B. Tylor reprend la description de Rochefort et rassemble sous le nom de couvade un ensemble d’observations ethnographiques dont plus de la moitié viennent d’Amérique du Sud. James G. Frazer est amené à distinguer deux formes de couvade, souvent confondues: «Une de ces coutumes consiste en un régime de diète stricte observé par un père au bénéfice de son enfant, parce que l’on croit que le père est uni à l’enfant par un lien de sympathie physique tellement intime que tous ses actes affectent et peuvent blesser ou tuer l’enfant. L’autre coutume consiste en une simulation de la naissance par un homme, peut-être en général par le mari, pratiquée au bénéfice de la vraie mère, de manière à la soulager de ses douleurs en les transférant sur la mère fictive.» Frazer propose d’appeler la première couvade «post-natale ou diététique» et la seconde « pré-natale ou pseudo-maternelle», l’une relevant de la magie par contagion et l’autre de la magie imitative. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’éviter tout ce qui risque d’affecter par analogie l’apparence, la forme, la couleur, le tempérament de l’enfant à naître, selon la croyance qui associe le bec-de-lièvre et l’impression ressentie par la mère à la vue d’un lièvre.

Parmi les explications de la couvade, il semble qu’il faille exclure l’idée d’un matriarcat survivant dans les structures patriarcales, de même que le caractère de dispositif servant à légitimer l’enfant ou le couple. Selon P. Menget, la couvade implique nécessairement une théorie de la paternité physiologique. Les Txicáo du Brésil central accordent un rôle primordial au père dans la fabrication de l’embryon et du fœtus, la mère se contentant de fournir, avant la naissance, un contenant et une préformation. On comprend qu’en l’occurrence l’homme se trouve étroitement associé à une série d’observances telles que tout manquement par rapport à elles entraînerait pour l’enfant et pour lui-même un risque de maladie ou de mort.

Pour Tylor, la couvade est «l’application d’un concept plus général, c’est-à-dire que la vulnérabilité occasionnelle d’un individu à des forces nocives peut être soulagée ou aggravée par l’état non seulement des humeurs corporelles de cet individu, mais aussi par celui de ses associé(e)s». Il s’agit en somme de maintenir ou de rétablir un équilibre toujours exposé à se rompre. Cela explique en quoi la couvade appartient aux rituels qui accompagnent les crises, qu’elles soient biologiques ou culturelles. Ce qui vaut pour la naissance vaut aussi pour la mort et les changements d’état: croissance, puberté, transgression d’un interdit, telle la mise à mort d’un ennemi. À l’exception des prescriptions diététiques, il existe une similitude entre l’isolement du mari dans la couvade et la réclusion rituelle qui suit un meurtre. Il s’agit ici de se débarrasser d’une surcharge agressive qui nuit à la communication et à l’échange avec les autres membres du groupe. C’est précisément cette normalité que la couvade tente de faire partager à l’enfant en sorte que les substances de vie s’équilibrent en lui.

Bien que la couvade revête ses formes les plus typiques chez les Caraïbes, elle existe aussi dans quelques îles du Pacifique et chez les Aïnous du Japon. Surtout, les traces qu’en a gardées le folklore montrent que, dépouillée de ses rituels, elle hante l’imaginaire en cultivant chez les hommes l’envie d’une paternité féminisée, le désir d’une parturition masculine.

couvade [ kuvad ] n. f.
• 1807; de couver
Ethnol. Coutume de certains peuples selon laquelle les hommes participent symboliquement à l'accouchement de leur femme. Les rites de la couvade. « Conjurer la puissance féminine de fécondité [...] , telle est l'entreprise de la couvade » (Baudrillard).

couvade nom féminin (de couver) Coutume rencontrée dans certaines sociétés, selon laquelle, après l'accouchement, c'est le père qui joue le rôle social de la mère et est au centre des réjouissances.

⇒COUVADE, subst. fém.
A.— ETHNOL. Coutume qui donne au mari une participation symbolique à l'accouchement (il se couche, reçoit soins, cadeaux et félicitations). Le rite de la couvade (Traité sociol., 1968, p. 426).
B.— P. ext., PSYCH. ,,Ensemble de troubles fonctionnels viscéro-végétatifs, en particulier digestifs, apparaissant chez le futur père au cours de la grossesse de l'épouse et disparaissant habituellement après l'accouchement`` (THINÈS-LEMP. 1975).
Prononc. :[kuvad]. Étymol. et Hist. 1. 1539 faire la couvade « être inactif » (EST.) — 1636, MONET; 2. 1873 ethnol. (M. MÜLLER, Essais sur la mythologie comparée, p. 325 ds LITTRÉ Suppl.). Dér. de couver, suff. -ade. N'est pas empr. à l'ital. covata (WIND, p. 74) qui ne signifie au XVIe s. que « couvée » (v. BATT.). Bbg. WIND 1928, p. 74, 155.

couvade [kuvad] n. f.
ÉTYM. 1877, in Littré, cf. en 1538, faire la couvade « rester inactif »; de couver.
Ethnol. Coutume en usage chez certains peuples par laquelle le futur père calque son comportement sur celui de la future mère (repos, isolement, station couchée…) puis, après l'accouchement, reçoit les félicitations, les cadeaux de son entourage.
0 Conjurer la puissance féminine de fécondité, l'encercler, la circonscrire, éventuellement la simuler et se l'approprier, telle est l'entreprise de la couvade (…)
J. Baudrillard, De la séduction, p. 138.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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